Entretien avec Alex Reding pour les dix ans de la Luxembourg Art Week
Marianne Brausch : Tu es le fondateur de la Luxembourg Art Week (LAW). Pour cette dixième édition, tu as repris les rênes de la direction après l’avoir déléguée pendant une année. Il y a des raisons particulières à cela?
Alex Reding : En tant que fondateur de la LAW, je suis et j’ai toujours été membre du Conseil d’administration (CA) de la LAW. Nous n’avons pas de Comité exécutif (CE) mais une direction générale. J’avais abandonné ce poste l’année dernière et délégué à Caroline von Reden. Il me semblait que c’était une bonne chose pour la LAW. En effet, j’ai la charge de trois galeries. Nosbaum Reding Art Gallery qui accueille des solo shows et des expositions de groupe, Nosbaum Reding Project Room, des artistes moins confirmés et plutôt jeunes ici à Luxembourg et la galerie bruxelloise ouverte en 2020. Je voulais me recentrer sur ces activités.
Beaucoup de choses ont été dites par rapport à la non confirmation de Caroline von Reden à ce poste pour la suite. Quelle est ta version ? Est-ce aussi dû au fait que la dixième édition cela compte beaucoup pour toi et que tu voulais de toute façon être présent pour l’organisation de cette édition anniversaire ?
Caroline von Reden est une personne expérimentée, ayant l’habitude de grandes villes comme Berlin ou Bruxelles, leur effervescence, leurs réseaux culturels. Luxembourg, par comparaison, est un contexte différent, particulier. Il faut se familiariser avec, aller chercher les contacts, les échanges. Je comprends que cela puisse avoir été perturbant et décevant pour Caroline. Elle a eu du mal à s’acclimater ; le niveau culturel n’était pas celui qu’elle attendait. En un mot : il n‘y a quasiment pas de « scène culturelle » parce que pas de « contexte culturel » luxembourgeois…
Tu n’es pas très tendre là avec Luxembourg. Il n’y a vraiment pas de « scène culturelle » ? Et qu’entends-tu par-là d’ailleurs ?
Quand en 2015, avec quelques amis, nous avons imaginé créer la LAW et pensé à ce que cela devrait être, il est ressorti de nos discussions que c’était essentiel de créer un élément fédérateur de la scène culturelle luxembourgeoise. Qui lui donnerait des bases solides, qui la structurerait. Quand on parle de la LAW, on dit généralement « foire ». Ce qui est très réducteur. C’est autre chose, c’est un événement fédérateur dès sa création en 2015 et qui évolue chaque année à travers sa programmation. La foire en tant que telle propose un programme culturel et il y existe en plus des événements culturels connexes. Notamment dans les institutions culturelles. En tout, cela fait une douzaine de débats et conférences, un parcours de sculptures dans l’espace public (l’année dernière avec Atelier van Lieshout, cette année avec 12 artistes). Pour cette édition, il y a en plus le parcours « capsules », des installations dans les vitrines de boutiques vacantes. Ce type de collaborations a été mis en place année après année et grossit à chaque édition. C’est ce que j’appelle « une scène ».
Donc, l’absence de scène culturelle est à la base de la création de la LAW…
Absence non quand même pas, mais besoin de structuration oui. Cela provient d’un changement, d’une évolution de la société. Tu ne t’en souviens peut-être pas, moi, je m’en souviens très bien ! Les banques et les galeries (précisions d’ailleurs que ce sont des femmes galeristes comme Léa Gredt, Marita Ruiter, Martine Schneider, Christiane Worré, Erna Hécey plus tard) ont construit une scène à partir des années 1980. Les banques, à partir des années 1990, achetaient aux galeries. Ou les galeries vendaient aux banques. Qui étaient les directeurs des banques ? Des financiers luxembourgeois. Puis, le domaine de la banque est devenu international et les galeries en ont ressenti les effets : non seulement les banques n’étaient plus luxembourgeoises, mais elles amenaient leurs directeurs étrangers ici. Leur « monde » n’était pas celui du Luxembourg et l’activité des galeristes est tombée dans un trou.
Nous, les jeunes galeristes qui ont suivi, nous n’avons jamais bénéficié du marché des banques. Même si nous avions étudié à l’étranger, si nous étions ouverts sur l’extérieur. Si je cite mon cas personnel, je n’ai jamais rien vendu à une banque au Luxembourg. Mes clients sont tous des collectionneurs privés.
L’idée de la LAW est donc apparue à ce moment-là?
C’est devenu concret en février-mars 2015. J’ai demandé à deux, trois amis galeristes s’ils étaient d’accord de tenter l’aventure. J’ai aussi parlé avec Jean Petit, à l’époque le président du Cercle Artistique de Luxembourg (CAL), pour que ce soit un événement « associé » et que la « scène » se présente unie. Et on a réussi ! La première année, il y avait 19 galeries et le CAL réunis dans le Hall Victor Hugo. J’avais aussi pensé et demandé à des galeries étrangères de participer : il fallait montrer que nous existions mais en plus refléter l’esprit international. Car beaucoup d’étrangers (les « expats » comme on dit) vivent à Luxembourg. Ils connaissent des événements comparables de par l’Europe et le monde. Il s’agissait de leur donner confiance et qu’ils voient que nous sommes capables de faire quelque chose qui a de la «tenue », ici, au Luxembourg. Il y a eu 8 000 visiteurs à cette première édition, ce qui n’est pas mal du tout. L’année suivante, il y avait la petite tente en plus pour les artistes et les galeries émergeantes sur le parking. Puis, le CAL s’est installé au Tramschapp à un jet de pierres. Cela faisait en tout quarante galeries dont dix à douze luxembourgeoises et le CAL.
Et maintenant, dix ans plus tard ?
Cela se passe dans la grande tente installée au Glacis et c’est bien une foire d’art. Mais il y a toutes les activités parallèles et le programme culturel des institutions dans et hors de la tente au Glacis. Tous les visiteurs, qu’ils soient luxembourgeois, étrangers habitant au Luxembourg ou venus de l’étranger peuvent avoir une vue générale en trois jours, de la fédération de la scène artistique.
Nous faisons tout pour que tous les acteurs de la scène soient là. C’est un travail d’une année complète avec quatre collaborateurs. On va frapper à toutes les portes ; on demande vous voulez participer « hors les murs » de la LAW ou vous voulez faire un débat au sein même de la LAW ? Cela correspond à dix pour cent environ de notre budget et vingt pour cent de notre temps. Je ne parle pas de la pointe de l’iceberg qui est la plus visible. Un iceberg inversé d’ailleurs : aller chercher les galeries étrangères, les sponsors…
La LAW est donc un work in progress. 2025, onzième année… tu es si enthousiaste qu’on n’imagine pas que tu ne participes pas à l’élaboration
Tu me connais ! Je suis un peu provocateur : s’il y a des gens qui viennent pour boire leur coupe de champagne, bon et bien qu’ils se sentent entre soi, entre « amateurs d’art »… Mais nous ne voulons en aucun cas n’être que cela, devenir une plate-forme d’«événements », une… foire. C’est beaucoup, beaucoup de travail. L’équipe de la LAW est bonne. Pour la onzième édition, je souhaite ceci : Alex Reding au CA oui, à la direction non. Mais que l’esprit qui a présidé aux débuts de la LAW continue.
Cet entretien a été réalisé en collaboration avec Eric Rings, pour le magazine Konterbont de l’asbl Autistes Luxembourg
La Luxembourg Art Week a lieu du 22 au 24 novembre prochain. Renseignements, heures d’ouverture et programme complet: luxembourgartweek.lu
Image de tête: Wouter Maeckelberghe