Reprise d’un article de Lucien Kayser de 1982
Reckinger et le cubisme
Oui, le cubisme des années mil neuf cent dix, des Picasso, Braque et Gris, il y a de quoi surprendre dans l’exposition de Marc Reckinger, à l’hôtel de ville de Dudelange (galerie Dominique-Lang), ouverte jusqu’au 14 février, ceux-là surtout seront surpris qui en étaient restés à la rétrospective du théâtre municipal d’Esch-sur- Alzette (en 1980). Bien que le problème de Marc Reckinger soit toujours le même (problème plus ou moins pesant, Reckinger n’a-t-il pas arrêté de peindre pendant une demi-douzaine d’années) : concilier l’engagement social et politique et une expression artistique moderne. Aujourd’hui, Marc Reckinger tourne le dos au réalisme (j’emploie ce vocable pour faire bref), s’appuie sur l’esthétique cubiste. Avec en gros deux avantages : il gagne en modernité justement, ce qui différencie le cubisme de l’ancienne peinture, selon Apollinaire, c’est qu’il n’est pas un art d’imitation, mais un art de conception qui tend à s’élever jusqu’à la création ; il ne perd rien pour autant de l’insertion de sa peinture dans le monde extérieur. Je préciserai ce dernier point en me référant toujours à Apollinaire, à ce qu’il dit de l’esprit nouveau : double, classique par son solide bon sens, son esprit critique, ses vues d’ensemble sur l’univers et dans l’âme humaine, romantique, par sa curiosité, son exaltation de la vie. Marc Reckinger continue à insister sur le caractère militant de sa peinture.
Regardez les illustrations qu’il a faites sur des poèmes de René Welter, les tableaux qui se rapportent à la réalité polonaise ou sud-américaine, plus près de nous, les projets pour le lycée technique Nic.-Biever : la réalité de Dudelange même. Avec l’esthétique cubiste, il ne s’agit cependant plus seulement d’un art de la protestation : il s’y glisse, dans les ensembles nouveaux, de l’espérance, Marc Reckinger parle de Beitrag zur Belebung von Utopie : Utopie ist das Bild und die Möglichkeit einer besseren Welt, ohne das jede Aktion zur Verbesserung oder Abschaffung der bestehenden Verhältnisse abstirbt. Et s’il a été question du cubisme des Picasso, Braque et Gris, par cet autre aspect, prismatique, par les couleurs qui se heurtent, s’entrechoquent — tels tableaux ont pour sujet la musique de jazz — la peinture de Marc Reckinger se rattache non moins au cubisme orphique d’un Delaunay. Dernière chose enfin qui frappe dans cette exposition : la place qui est faite à l’intimisme, non pas repli, juxtaposition, coexistence de sphères différentes, dans une tradition simultanéiste, unanimiste. Sur des pensers nouveaux … Marc Reckinger a fait des œuvres cubistes, belle preuve qu’il a apportée aussi de la vitalité de cette esthétique. Il reste que la solution ne peut guère être que transitoire.